Pour bien
comprendre la situation haïtienne en 2023 au regard du droit international, il
convient de rappeler les rapports entre le droit externe et le droit interne.
L’introduction
des normes internationales dans le droit interne, c’est-à-dire la manière dont
le droit international devient applicable en droit interne fait l’objet de deux
modèles théoriques principales : la théorie dualiste et la théorie
moniste.
Selon la théorie
dualiste, le droit international est radicalement différent du droit interne. Cette différence n’exclut pas
l’intégration du droit international en droit interne. Toutefois, cette
intégration se fait par le biais d’un acte de « réception ». Cet acte
de réception peut se faire par une procédure législative ou référendaire. À la
suite de cette procédure, un traité international incorporé dans le droit
interne par exemple pourra produire des effets de droit.
La théorie moniste postule une vision
unificatrice du droit international et le droit interne. Selon les tenants de
cette théorie, le droit international est applicable de plein droit dans
l’ordre interne puisqu’aucune règle de fond ne s’y oppose.
Cependant ni la
théorie moniste ni la théorie dualiste ne préjuge la question de la hiérarchie
qui existe entre le droit international et le droit interne. Elles ne
prédéterminent pas également à quel niveau peut-on engager la responsabilité de
l’Etat. En effet, un pays peut bien adopter un système moniste soit avec
primauté du droit international soit avec primauté du droit interne. Un système
dualiste peut prévoir la primauté du droit international ou celle du droit
interne.
Les
rapports entre le droit international et la loi haïtienne
Au regard des
rapports entre le droit international et le droit interne, la Constitution a
fixé des règles précises. Le président de la République demeure le négociateur
et signataire des traités, conventions et accords internationaux. Autrement
dit, ni le pouvoir judiciaire ni le pouvoir législatif ne sont habilités à contracter
des obligations internationales au nom d’Haïti. Cette prérogative est
l’exclusivité du pouvoir exécutif. Toutefois, leur intégration est soumise à la
ratification de l’Assemblée nationale. Cela revient à dire que l’intégration
des normes internationales dans le droit interne ne se fait pas par vote
successif des différentes chambres mais par la réunion des deux chambres en une
seule assemblée.
La Cour de
Cassation dans son arrêt -
no03/1992-Pouvoir Exécutif Vs Pouvoir Législatif en date du 27 Mars 1992,
opposant le Pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sur la signature d’un
Protocole d'Accord signé à Washington le 23 février 1992 par les présidents de
la chambre des députés et du Senat à l’époque, a reconnu que :
« Les parlementaires ne sont pas autorisés à
signer de leur propre chef, sans un mandat exprès de l'Exécutif, un accord
pouvant lier l'Etat Haïtien et son Gouvernement.
Les pouvoirs de l'Assemblée Nationale sont limités
et ne peuvent s'étendre à d'autres objets que ceux que la Constitution lui
attribue spécialement.[1] »
Cet arrêt de la
Cour de Cassation entérine donc le pouvoir exclusif de l’Exécutif de signer des
instruments juridiques internationaux au nom de la République d’Haïti.
Par ailleurs, en
ce qui concerne la hiérarchie des normes, il ressort des articles 276 que la
conception pyramidale des normes en Haïti se construit avec la Constitution en
haut de l’échelle suivi – des Conventions, traités et accords internationaux –
des lois – des décrets – et des autres actes réglementaires en bas de
l’échelle. Aucun texte juridique d’origine international ne peut être contraire
à la Constitution sous peine de ne pas être ratifié par le parlement. Dans le
cas d’un litige sur les clauses d’une texte du droit international après sa
ratification, il sera portée devant le Conseil Constitutionnel. Dans
l’éventualité d’une déclaration de non-conformité des dispositions du texte
avec la Constitution par le Conseil, elles ne seront pas applicables du fait de
leur inconstitutionnalité.
Cependant, le
contrôle effectif de la constitutionalité des lois se heurte à de nombreux
obstacles, en raison de l’ineffectivité du Conseil constitutionnel qui selon
les vœux de la Constitution est la seule entité capable de juger de la
constitutionnalité des lois. Ce Conseil n’a jamais vu le jour malgré les
dispositions de la Constitution prévoyant sa création depuis 1987.
Les traités,
conventions et accords internationaux sont supérieurs aux lois nationales. Ils
abrogent tacitement toutes les lois qui leur sont contraires même s’ils sont
pris sous forme de Décret. Certainement, même ratifié par l’assemblée
nationale, un texte juridique d’origine externe ne saurait avoir effet direct
dans le droit interne qu’après sa publication dans le journal officiel
« Le Moniteur ».
Les dispositions de la Constitution sur l’intégration du droit international dans le droit interne se retrouvent aux articles 139, 276 et suivants et se lisent ainsi :
Article 139: Il [Le président de la République] négocie et signe tous traités, conventions et accords internationaux et les soumet à la ratification de l’Assemblée Nationale ;
Article 276:L’Assemblée Nationale ne peut ratifier aucun Traité, Convention ou Accord Internationaux comportant des clauses contraires à la présente Constitution. ;
Article 276-1: La ratification des Traités, des Conventions et des Accords Internationaux est donnée sous forme de Décret. ;
Article 276-2: Les Traités ou Accord Internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la Législation du Pays et abrogent toutes les Lois qui leur sont contraires
Il apert que le
droit international une fois ratifié par l’Assemblée nationale et publié dans
le journal officiel « Le Moniteur » est susceptible d’être invoqué
devant les juridictions nationales. Par contre plusieurs problèmes restent non
résolus. L’un des proéminents est l’effectivité de l’intégration des textes
juridiques d’origine externe dans la législation nationale. En effet, la
plupart des conventions internationales importe de prendre des mesures afin de
les transposer, compléter et mettre en œuvre.
Par exemple, le deuxième paragraphe de l’article 2 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques dispose :
« Les États Parties au présent Pacte
s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et
avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre
l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner
effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en
vigueur ».
Dans son
observation no 31, le Comité des droits de l’homme (CDH) considère qu’en vertu
de ce paragraphe les Etats parties doivent prendre des mesures d’ordre
législatif, judiciaire, administratif, éducatif et autres appropriées pour
s’acquitter de leurs obligations juridiques. Ils ont pour obligations également
de sensibiliser les fonctionnaires et les agents de l’Etat, aussi bien que la population.
L’absence de telles mesures peut handicaper l’application dans la pratique des
droits fondamentaux reconnus par le droit international. Par exemple, il est
reconnu que les États doivent prévoir des sanctions contre les violations des
droits fondamentaux mais aussi des mécanismes de réparation et établir une
procédure administrative pour porter plainte contre les abus.
Dans le cas
d’Haïti, le droit international et régional des droits fondamentaux, ayant pour
origine les règles onusiennes et interaméricaines, fait partie intégrant du droit
interne. La situation actuelle peut être imputée aux manques de mesures prises
par l’Etat pour donner pleine réalisation à ses obligations contractées au
niveau régional et international. Enfin, plairons nous à rappeler que la
conjoncture pourrait être différente, si les élites politiques et économiques en
Haïti étaient mues par le respect des droits fondamentaux et animé par une
volonté ferme de les renforcer.
[1] L’arrêt peut être consulté entièrement à l’adresse : https://juricaf.org/arret/HAITI-COURDECASSATION-19920327-031992