La
paralysie du service SPIH a démontré le rôle continu des TIC dans les
différents aspects de la vie quotidienne en Haïti. Par ailleurs, les
comportements irresponsables de certains acteurs dans le cyberespace incitent
les initiatives pour fixer les obligations et protéger les droits en ligne.
En
Haïti, le droit du numérique est en phase de développement, mais il reste
beaucoup d’efforts à déployer pour garantir une réglementation efficace et
équitable. Parmi les facteurs qui freignent le développement de la
réglementation du numérique, citons l’absence du parlement depuis 2020 et le
désintérêt des dernières législatures pour la question.
Dans cet article, nous allons explorer les
défis et les perspectives du droit du numérique en Haïti.
Les défis du droit du numérique en Haïti
1)
Le
manque de réglementation : les technologies numériques
présentent autant de défis que d’opportunités.
Dans la plupart des pays, les réflexions stratégiques pour répondre aux défis
n’ont pas précédé l’introduction du numérique sur leurs territoires. Les lois anciennes pour la téléphonie et les
télécommunications continuent de s’appliquer, lesquels dans la majorité des cas
ne prennent pas en compte les spécificités du numérique. Cette situation peut
entraîner des abus et des violations des droits de la propriété intellectuelle,
de la vie privée et de la sécurité des données. Elle prive également les
institutions des pouvoirs pour agir efficacement afin de mettre le numérique au
profit de l’économie, les droits fondamentaux et la bonne gouvernance.
·
Gouvernance
électronique : Par le biais du décret du
29 janvier 2016, l'Etat haïtien a reconnu le droit de tout administré de
d'adresser à l'Administration publique par voie électronique. S’il est vrai que ce texte a jeté les
bases légales pour la dématérialisation des services publics et la
modernisation de l’Etat par le biais des TIC, il faut remarquer que, comme l’a reconnu l’ex premier ministre a.i Michel Lapin dans la circulaire 003
du 5 février 2020, le développement de la gouvernance électronique requiert que
d’autres lois complètent ce décret. Pour citer un exemple, la gouvernance
électronique présuppose l’Etat assure la sécurité des plateformes de services
publiques tout comme les données personnelles des administrés.
Par
ailleurs, la rapide évolution des technologies émergentes telles que la cinquième
génération (5G), l’intelligence artificielle (IA) et la chaine de blocs
remettent en question l’application des dispositions actuelles qui ne prennent
pas en compte les nouveaux défis et opportunités de ces dernières. En outre, la
dématérialisation des services publics impliquent aussi des changements dans
les procédures administratives et les contentieux, tout en veillant que les
droits de la personne sont protégés contre d’éventuels abus.
· Législation sur la protection des données
personnelles: La protection des données personnelles
est un sujet crucial dans le monde numérique. Pour certains auteurs, elles
constituent le pétrole de l’économie numérique. En Haïti, il est devenu un
impératif d’aborder les questions liées a la réglementation et la protection
des données personnelles. A côté des plateformes internationales qui sont adoptées
par une large frange de la population, les services publics électroniques comme
les services de délivrance des diplômes du bac et des cartes d’identification
nationales suscitent des préoccupations quant à la protection effective des
données à caractère personnel. Celles-ci sont à présent plus facilement
exploitables par des tiers et favorisent le développement du vol d’identité
dans le pays.
Il
appert donc indispensable d’établir une autorité de protection des données
personnelles dans le pays dans le but de protéger les haïtiens dans leurs
différents rôles (citoyens, consommateurs et professionnels) contre les
utilisations illégitimes de leurs données personnelles.
· Cybercriminalité et
sécurité numérique: Avec l'essor du numérique, la
cybercriminalité est devenue une préoccupation majeure. Les cas d’attaques
informatiques, le vol d'identité, la fraude en ligne et autres délits
numériques sont nombreux en Haïti, se perpétuent sous le regard indifférent des
politiques. Citons les cas d’incitation à la violence et l’apologie de la
violence par des membres de gangs, les cas d’abus de confiance liés au commerce
électronique et la publication des vidéos a caractère sexuel de mineurs au
quotidien. La criminalité liée à l’informatique n’a pas épargné les deux
ministres respectivement de l’éducation nationale et des affaires étrangères
dont les téléphones ont été piratés, lesquels ont été utilisés pour escroquer
des victimes en les soutirant de l’argent.
Avec
les lois actuellement en vigueur qui n’incriminent les cyber délits et les
règles de procédures insuffisantes pour encadrer les actions de l’appareil
judiciaire, il apparait difficile de mener une lutte efficace contre la
cybercriminalité. À côté des problèmes d’ordre juridique se pose les
difficultés liées au budget de la Justice.
L’enquête
numérique suppose que l’Etat investisse non seulement dans la formation des
cadres du système judiciaire mais aussi dans les matériels criminalistiques
pouvant faciliter cette dernière. De
fait, la capacité institutionnelle de la justice à mener des enquêtes
numériques dépend aussi du budget et des ressources (électricité, matériels
informatiques, logiciels, accès à l’internet, etc.) mis à sa disposition.
Les
nouvelles technologies de l’information et de la communication ont fourni de nouvelles opportunités de
développement économique, technologique et social. Cependant, dans le même
temps, les menaces transnationales - telles que le cyber espionnage pour le
compte d’États, les cyber activités à caractère militaire, la cybercriminalité,
le cyber terrorisme et l’utilisation d’Internet à des fins de terrorisme –
n’ont cessé de croître. Ces risques sécuritaires doivent être pris en compte de
manière adéquate dans le cadre de stratégies et de plans d’action exhaustifs. Dans
le cas contraire, l’Etat haïtien peut se retrouver dans l’incapacité d’assurer
la sécurité nationale et humaine et maintenir la croissance économique.
L’absence
d’une stratégie nationale et de lois sur la cyber sécurité fait peser de graves
dangers sur l’avenir du pays. Puisqu’elle prive l’Etat de sa capacité de
répondre à ses obligations envers les citoyens mais aussi sur le plan
international. À titre d’illustration, rappelons que le transport aérien repose
sur des systèmes informatiques, le piratage informatique d’un appareil ou du
système informatique peut non seulement causer des dégâts sur le territoire
national mais aussi déclencher des conflits diplomatiques qui peuvent déboucher
sur des tensions et des déclarations de guerre, dans le pire des cas.
Au
regard de la situation actuelle du pays, une réforme normative et institutionnelle de la cyber sécurité
s’impose. Cette réforme permettra à l’Etat de mieux coordonner les opérations
de cyber sécurité sur le territoire national tout en renforçant la confiance et
la capacité des différents acteurs.
· Autres axes de
réglementation : Le numérique a une
influence profonde sur la société haïtienne, en sus des points précités, il est
obligatoire d’adapter la législation actuelle sur le commerce électronique et la protection des consommateurs, l’Accès à
l'information et liberté d'expression, la Propriété intellectuelle en ligne, la
responsabilité des fournisseurs de services, la protection des journalistes et
lanceurs d’alertes en ligne ainsi que l’économie numérique.
2)
Le
manque de formation :
·
Les
professionnels du droit : tels que les
magistrats, les avocats et les enquêteurs judiciaires, jouent un rôle crucial
dans la protection des individus et des biens dans le monde numérique.
Cependant, en Haïti, il existe un déficit évident dans la formation des
professionnels du droit concernant les enjeux juridiques liés au numérique.
Afin de lutter efficacement contre la cybercriminalité, il est essentiel de
renforcer les compétences des acteurs judiciaires en matière de compréhension
et de répression des crimes informatiques. En outre, l'incapacité de la justice
à sanctionner les infractions informatiques crée un climat d'impunité et compromet
la protection des droits fondamentaux en ligne
·
les
décideurs et les acteurs du secteur numérique en Haïti
sont souvent confrontés à un manque de formation et de compétences spécialisées
en droit du numérique. Cette situation peut rendre difficile l'élaboration de
réglementations appropriées et la mise en œuvre efficace des lois existantes.
Le manque de formation des responsables politiques et des cadres de
l'administration publique a un impact direct sur le niveau de développement du
droit du numérique, car ils sont responsables de la proposition et de
l'adoption des projets de loi.
De
plus, un déficit dans la compréhension des avantages du numérique peut entraver
l'adoption de politiques publiques et de projets d'inclusion numérique, ainsi
que le développement des infrastructures des technologies de l'information et
de la communication. Il est donc essentiel de renforcer la formation et les
compétences des décideurs et des acteurs du secteur numérique afin de favoriser
une meilleure compréhension des enjeux juridiques et des opportunités offertes
par le numérique.
·
La
fracture numérique : L'accès inégal aux technologies
numériques entre les zones urbaines et rurales en Haïti peut exacerber la
fracture numérique et rendre difficile l'établissement d'une réglementation
uniforme. Cette disparité numérique est causée par plusieurs facteurs, tels que
l'accessibilité financière, la connectivité (couverture réseau, qualité de
l'accès à Internet et à l'énergie), les disparités de genre, les contraintes
géographiques, le manque de compétences numériques de base, le manque de
confiance et le manque d'éducation et d'incitations concernant les opportunités
offertes par le Web.
De
plus, le développement de contenus pertinents répondant aux besoins réels des consommateurs
détermine le degré d'utilité de ces utilisations. Ainsi, la véritable valeur
des technologies de l'information et de la communication (TIC) réside dans
l'utilité des utilisations plutôt que dans les équipements eux-mêmes.
Le
droit du numérique peut jouer un rôle en définissant les obligations de l'État
en matière de développement des TIC, y compris l'accès universel à Internet,
ainsi qu'en créant un environnement favorable à la croissance du secteur
numérique dans le pays. Toutefois, il est important que les dispositions
légales soient complétées par des politiques et des projets publics visant à
promouvoir le numérique de manière plus globale.
3)
Création
d’autorités de régulation sectorielle
La
révolution numérique a profondément transformé les marchés, en catalysant
l'innovation et en redéfinissant les règles de la concurrence. Cela a conduit à
une internationalisation des activités commerciales et à un passage d'un état
de monopole à un état de concurrence libre. Par conséquent, il est nécessaire
de revoir le cadre légal de la régulation sectorielle et concurrentielle en
Haïti afin de stimuler le développement optimal de l'économie numérique, en
accordant une priorité à la protection des consommateurs.
Le
numérique est présent dans tous les secteurs d’activité. Les compétences telles que définit dans les Décrets
du 20 Août 1987 redéfinissant la mission du Conseil National des
Télécommunications et fixant ses attributions en ce qui attrait à la
planification, la règlementation et le contrôle des services de
télécommunication et celui du 27 Septembre 1969
créant le CONATEL ne permettent pas au Conseil national des
télécommunications de réguler l’ensemble des activités liées au numérique. Par
conséquent, il est indispensable de suivre l’exemple d’autres pays en Europe (France), en Amérique du Nord
(Etats-Unis et Canada) et en Afrique (Sénégal), en élargissant les compétences
du Conatel et en créant d’autres autorités de régulation, notamment dans les
domaines de la concurrence et des communications électroniques, pour ne citer
que ces exemples.
Perspectives pour le droit du numérique en Haïti
Malgré
les défis actuels, il y a des perspectives prometteuses pour de la
réglementation du numérique en Haïti. Voici quelques propositions qui pourront
améliorer le développement du droit du
numérique :
- La
création d'un cadre réglementaire approprié
: Les autorités haïtiennes doivent élaborer des lois et des
réglementations claires et adaptées pour encadrer l'utilisation des
technologies numériques en Haïti. cela contribuera à protéger les droits
des citoyens et tirer bénéfice du numérique dans la gouvernance publique.
Nous
proposons la création d’un réseau de travail sur le numérique qui réunira les
représentants des différents ministères et des organismes autonomes et
indépendants afin de réfléchir sur l’impact du numérique. Les travaux du réseau aboutiront à l’élaboration d’un
rapport stratégique sur le développement des technologies numériques et des
propositions de réglementation. Ce
rapport servira de référence au parlement, qui créera une commission du
numérique chargée d'élaborer des propositions de lois sur le numérique et de
procéder éventuellement à l'adoption d'un code du numérique en Haïti. Evidemment,
les lois ne s'appliqueront pas seules, il faudra veiller à doter les
institutions des pouvoirs adéquats pour les exécuter.
La formation et
la sensibilisation : Pour réussir la transformation numérique,
il est important de doter les différents acteurs en compétences numériques mais
aussi en les sensibilisant sur les enjeux multisectoriels de ce dernier. Cette sensibilisation influencera
l’élaboration des politiques prenant en compte la dimension cyber des activités
de l’administration publique, mais également une meilleure collaboration dans
l’application des règlementations.
- La
promotion de l'inclusion numérique
: La réglementation du numérique ne sera bénéfique que si tous les
habitants ont accès aux informations, produits et services numériques. Il
est donc important de renforcer l'aménagement territorial des technologies
de l'information et de la communication (TIC), de développer les
compétences numériques des citoyens et de réduire l'écart entre les zones
urbaines et rurales. De plus, les TIC dépendent fortement de l'accès à
l'électricité, car les individus ne pourront pas en profiter si leurs
appareils sont déchargés. Le développement numérique doit donc être
précédé d'une couverture totale du territoire national en électricité.
Le
droit du numérique en Haïti est confronté à des défis importants, mais il
existe également des perspectives prometteuses pour son développement. En
élaborant des réglementations adaptées, en renforçant les compétences et en
promouvant l'inclusion numérique, Haïti peut créer un environnement juridique
favorable à la croissance et à l'innovation dans le secteur numérique. Il est
essentiel de saisir ces opportunités pour favoriser le développement économique
et social du pays.
Cependant,
il est important de noter que l'élaboration de lois ne suffit pas à apporter
des changements concrets sans la capacité des institutions et des acteurs à les
mettre en œuvre. On peut citer l'exemple du décret du 29 janvier 2016 sur la
gouvernance électronique qui n'a pas été mis en œuvre malgré plus de sept (7)
années depuis sa promulgation, ainsi que le nouveau code pénal publié en 2020,
qui, en dehors des contestations sur la procédure de promulgation, comporte de
nombreuses dispositions relatives au numérique qui nécessitent des changements
radicaux dans le fonctionnement de la justice haïtienne, ce qui est difficile à
mettre en place en raison d'un manque de préparation des acteurs.
Il
est donc essentiel d'adopter une approche holistique dans le développement du
droit du numérique en recourant à un audit stratégique du secteur, afin
d'éviter de tomber dans l'inflation législative et de gaspiller des ressources
dans l'élaboration de règles qui ne seront pas appliquées.