Cette revendication
de l’universalisme des droits fondamentaux a été explorée par plusieurs
disciplines comme l’anthropologie, la philosophie et la sociologie pour déceler
les manifestations de ce dernier.
L’article 55 de
la Charte prévoit que l’ONU favorisera « le respect universel et effectif
des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction
de race, de sexe, de langue ou de religion. » Cependant, cet universalisme
est de plus en plus critiqué par certains à travers des revendications d’un
« relativisme culturel ». D’autres au contraire font remarquer l’ineffectivité
de cet universalisme à travers les différents systèmes régionaux des droits
fondamentaux.
Selon les
tenants du relativisme culturel, les droits de l’homme est un concept
occidental et ont pris naissance au niveau interne avant de connaitre un
processus d’internationalisation. Et de fait, cette origine occidentale empêche
aux droits de l’homme de revendiquer un caractère universel. Étant donné que la culture est l’unique source de validité de
droit moral. Les droits de l’homme n’ayant pas pris en compte les différentes
conceptions culturelles de la personne, ils ne peuvent être considérés comme
universels. Ceux qui soutiennent l’ineffectivité de l’universalisme des droits
de l’homme s’appuie sur la non-acceptation universelle de ces derniers et les
différences entre les systèmes.
Avant de pousser
plus loin nos réflexions, il apparait indispensable de distinguer
« universalisme » et « universalité ». « L'universalité
signifie que tous les êtres humains jouissent des mêmes droits fondamentaux du
seul fait de leur humanité, où qu'ils vivent et qui qu'ils soient,
indépendamment de leur statut ou de toute caractéristique particulière. »[1] Cette universalité implique pour nous que les
droits de l’homme peuvent être évoqués par tous les individus indépendamment
des pays et de leur statut juridique sans pour autant confirmer le caractère intrinsèque
à la nature humaine des droits fondamentaux.
L’universalisme renvoie à l’idée que les droits de l’homme sont
globalement acceptés et transcendent les cultures.
En dépit des
critiques de l’universalisme revendiqué par les droits de l’homme. Et la
tendance a piégé les débats sur les droits fondamentaux dans un double
dilemme : universalisme et relativisme. Et en raison de la consécration du
caractère universel par les instruments internationaux des droits fondamentaux,
nous sommes forcés de nous questionner sur l’inscription de cet universalisme
dans la vie des Etats et sur la scène internationale.
Une synthèse des
oppositions sur l’universalisme des droits fondamentaux et la pratique
internationale nous permet de dégager deux types d’universalisme. De ce fait,
le développement de ce texte s’ordonnera autour de deux concepts : l’universalisme
revendiqué (1) et l’universalisme
d’intention (2).
Ⅰ. Universalisme revendiqué
L’universalisme
des droits de l’homme héritier des droits naturels définit comme étant intrinsèque
à la nature humaine est contredit par les faits historiques et les différences
entre les systèmes de protection des droits fondamentaux.
La déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948 est le premier instrument a portée
universelle consacrant les droits humains au niveau international. La déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 quoique reconnaissant les droits de l’homme n’octroyait pas le
statut d’être humain aux esclaves et donc ces derniers n’étaient pas considérés
des titulaires de ces droits.
En outre, il fut
un temps ou les droits de l’homme dits universels ne concernaient que les
hommes et excluaient les femmes et des groupes marginalisés. Cette
discrimination dans la reconnaissance des droits de l’homme remonte à
longtemps. Le pape Paul Ⅲ à la question
de savoir si les amérindiens étaient des hommes, il a répondu « Sunt vero homines », c’est-à-dire que les amérindiens ne sont pas
des animaux, mais des vrais hommes devant être christianisé et protéger dans
leurs droits.
De manière
concrète, les droits de l’homme sont des prérogatives qui sont consacrés et
reconnus aux individus par des textes de droit. En dehors de ces textes, quoique la capacité
humaine à s’indigner contre des actes de barbarie a toujours existé dans toutes
les cultures, certains types de droits ne sont reconnus qu’à cause de leur
reconnaissance par les instruments du droit.
En outre, la
notion des droits de l’homme n’est pas acceptée par tous les pays. Certains
pays font remarquer que la conception actuelle des droits fondamentaux prône
l’individualisme alors que ces pays conçoivent l’homme de manière collective.
La charte africaine des droits de l’homme et des peuples est l’une des
manifestations.
Les droits de l’homme font l’objet de
multiples protection régionale, les mécanismes régionaux actuels sont : La
Cour européenne des droits de l’Homme, Le Comité européen des Droits sociaux, La
Commission africaine des Droits de l’homme et des peuples, La Cour africaine
des droits de l’Homme et des peuples, Le Comité africain d’experts sur les
droits et le bien-être de l’enfant, La Commission interaméricaine des droits de
l’Homme, Comité permanent des droits de l’Homme de la ligue arabe. Ces
mécanismes de protection souvent sont concurrents tant au niveau matériel
qu’institutionnel[2]
En outre, les
divers mécanismes internationaux permettant aux victimes de porter plaintes
contre les violations des droits humains, notamment ceux créés au niveau de
l’ONU n’ont pas de pouvoir contraignant sur les Etats. Ils peuvent que soumettre des
recommandations aux Etats. Ces barrières
institutionnelles empêchent concrètement aux droits fondamentaux de se
concrétiser dans la majorité des cas. De plus, les instruments internationaux
et régionaux des droits de l’homme ne s’imposent qu’aux Etats parties. Par
exemple, plusieurs Etats islamiques ont exprimés
des réserves sur la Convention des droits de l’enfant et n’ont aucune
obligation de respecter les dispositions qu’ils n’ont pas ratifiées.
Un autre
caractéristique des droits de l’homme est l’autonomie des systèmes de
protection a interpréter les instruments et la volonté de ne pas mélanger les
contrôles. Autrement dit, la Cour européenne des droits de l’homme est libre
d’interpréter le droit de la liberté d’expression par exemple différemment de
la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Mais aussi, le Conseil de
l’Europe a encouragé les Etats membres à exprimer des réserves au Protocole no
1 du Pacte relatif aux droits civils et politiques afin d’éviter que le Comité
des droits de l’homme ne soit considéré
comme une instance d’appel de Strasbourg[3].
On voit bien à
partir des propos précédents que l’universalisme revendiqué des droits de
l’homme n’est pas aussi évident et effectif dans la pratique.
Ⅱ. Universalisme d’intention
Les droits de
l’homme ont une vocation universelle. Les affirmations du type : « Tous
les êtres humains », « Chacun », « Nul », etc. dans
les instruments internationaux témoignent des valeurs universelles des droits
déclarés.
Cette universalité
a tendance à se matérialiser à travers la complémentarité des systèmes régionaux
de protection mais aussi par le recours aux droits de l’homme dans le cadre des
revendications sociales partout dans le monde.
Les systèmes de
protection régionale des droits de l’homme se complètent de plusieurs manières.
La première est en approfondissant les droits reconnus par les instruments
universels. La Convention interaméricaine des droits de l’homme complètent au
niveau régional le Pacte relatif aux droits civils et politiques.
Une comparaison
de l’article 19 du Pacte sur la liberté d’expression et l’article 13 de la
Convention établit ce fait :
Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d’expression;
ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des
informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières,
sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen
de son choix.
3. L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2
du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités
spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui
doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:
a) Au respect des droits
ou de la réputation d’autrui;
b) À la sauvegarde de la
sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
Article 13. Liberté de pensée et
d'expression
1. Toute personne a droit à la
liberté de pensée et d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher,
de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans
considération de frontières, que ce soit oralement ou par écrit, sous une forme
imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
2. L'exercice du droit prévu au
paragraphe précédent ne peut être soumis à aucune censure préalable, mais il
comporte des responsabilités ultérieures qui, expressément fixées par la loi,
sont nécessaires:
a. Au respect
des droits ou à la réputation d'autrui; ou
b. à la
sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, ou de la santé ou de la
morale publiques.
3. La liberté d'expression ne
peut être restreinte par des voies ou des moyens indirects, notamment par les
monopoles d'Etat ou privés sur le papier journal, les fréquences
radioélectriques, les outils ou le matériel de diffusion, ou par toute autre
mesure visant à entraver la communication et la circulation des idées et des opinions.
4. Sans préjudice des
dispositions du paragraphe 2 ci-dessus, les spectacles publics peuvent être
soumis par la loi à la censure, uniquement pour en réglementer l'accès en
raison de la protection morale des enfants et des adolescents.
5. Sont interdits par la loi toute propagande en faveur de la guerre, tout
appel à la haine nationale, raciale ou religieuse, qui constituent des
incitations à la violence, ainsi que toute autre action illégale analogue
contre toute personne ou tout groupe de personnes déterminées, fondée sur des
considérations de race, de couleur, de religion, de langue ou d'origine
nationale, ou sur tous autres motifs.
Par ailleurs,
les instruments régionaux de protection des droits fondamentaux font référence
aux instruments internationaux. La Charte africaine des droits de l’homme et
des peuples se réfère à la Charte de l’ONU et de la DUDH. La Convention américaine
cite également la DUDH. De plus, les jurisprudences des différentes Cours contribuent
à renforcer la tendance universelle de certains droits comme l’abolition de la
peine de mort.
L’universalité
des droits de l’homme se renforce aussi à travers les revendications sociales
partout dans le monde qui se font au nom des droits fondamentaux même dans des
Etats austères aux droits humains. L’exemple la plus récente est la protestation
des femmes iraniennes contre des règles discriminatoires à l’égard des femmes[4].
Des exemples de
ce genre existent tout au long de l’histoire. Le régime apartheid en Afrique du
Sud qui supportait ouvertement l’inégalité entre les blancs et les noirs a été
combattu en évoquant les violations des droits de l’homme que constituaient les
comportement et lois du régime. La situation existante au Myanmar depuis le
coup du 1er Février 2021 par la Junte militaire sont repris par des
organisations des droits de l’homme pour dénoncer les abus et massacres contre
la population civile.
Il est intéressant
de noter qu’en vertu « du droit de regard » des ONGs contribuent à
promouvoir les droits de l’homme et dénoncer les abus dans tous les pays du
monde. L’activisme des ONGs et des organisations locales contribuent à éduquer
les individus sur leurs droits fondamentaux et à les revendiquer. Ces
initiatives ne manquent pas de raffermir l’universalité des droits humains et
d’avancer l’effectivité de ces derniers même dans des communautés
reculées.
D’autres mécanismes
créés par le Conseil des droits de l’homme tel que les réflexions sur le rôle
des autorités locales dans la protection des droits de l’homme qui a abouti au Rapport
du comité consultatif du Conseil appuyé par l’Organisation mondiale de Cités et
Gouvernements locaux unis (CGLU) contribuent à promouvoir les droits de l’homme
partout et les concrétiser dans toutes les villes du monde.
Il ressort donc des données précédentes que les droits de l’homme ont une vocation universelle à conquérir. Quoique de nombreux progrès ont été réalisés durant les dernières années, il n’en reste que l’universalisme des droits de l’homme entendu comme des droits intrinsèque a la nature humaine est loin d’être conforme à la pratique. Toutefois, l’intention d’universaliser les droits fondamentaux tente d’être renforcée par l’élaboration de plusieurs mécanismes grâce à l’apport des différents acteurs de la société civile, du système universel et des systèmes régionaux de protection des droits de l’homme.
[1] Définition proposée par le Haut-commissariat des droits de l’homme sur
son site internet
[2] Éric Tardif, “Le
système interaméricain de protection des droits de l’homme: particularités,
percées et défis ”, La Revue
des droits de l’homme [Online], 6 | 2014, Online
since 04 December 2014, connection on 16 January 2023. URL:
http://journals.openedition.org/revdh/962; DOI: https://doi.org/10.4000/revdh.962
[3] Helene Gaudin et co, Dictionnaire
des droits de l’homme, Presse Universitaire de France, 2008
[4] ONU Femmes ( 23 Novembre 2022) Pushing forward: Protesting women’s
rights abuses in Iran, disponible à
l’adresse https://www.unwomen.org/en/news-stories/feature-story/2022/11/pushing-forward-protesting-womens-rights-abuses-in-iran