La crise socio-politique que traverse le pays depuis 2018 a occasionné la montée d’une nouvelle génération de jeunes aspirant à une gestion de la chose publique basée sur la transparence et la reddition des comptes. « Il y a un vrai besoin de changement de système, de reddition de comptes » plaida en 2019 Emmanuela Douyon devant la commission Affaires étrangères du Congrès américain sur la crise en Haïti.
La capacité de la population à demander la reddition des comptes dépend de leur connaissance des obligations des institutions de l’Etat, obligations qui sont en général fixées dans les règlements juridiques. A contrario, dans la réalité les lois haïtiennes ne sont pas accessibles aux citoyens.
Selon
les vœux de la Constitution haïtienne de 1987, Haïti est un Etat de droit. Ce
principe suppose la prééminence du droit sur le pouvoir politique et
l’obéissance à la loi tant des gouvernants que les gouvernés. Il implique aussi que les institutions
publiques ne peuvent poser des actions contraires à la loi.
La
capacité de la population à demander la reddition des comptes dépend de leur
connaissance des obligations des institutions de l’Etat, obligations qui sont
en général fixées dans les règlements juridiques. De fait, la participation
effective des citoyens dans la gestion de la chose publique et dans une
certaine mesure, leur évaluation des actions du gouvernement dépendent de leur
connaissance des lois régissant le fonctionnement de l’Etat.
Toutefois l’accessibilité des lois en Haïti reste un authentique défi. Cette inaccessibilité est le résultat de plusieurs facteurs qui peuvent être rangé en deux catégories principales : matérielles et linguistiques. L’accessibilité matérielle des lois suppose que le contenu des lois soit à la portée des citoyens sur l’ensemble du territoire national. Cependant les impressions du Journal officiel « Le Moniteur » dépasse rarement 1000 exemplaires. Aussi contrairement à d’autres pays, l’Etat haïtien ne tire pas avantage des nouvelles technologies de l’information pour mettre disponible « régulièrement » les nouvelles lois, encore moins les anciennes sur format digital. D’autre part, la plupart de nos lois sont rédigés uniquement dans la langue française, étrangère à la majorité des citoyens. La technicité du langage utilisée dans les textes de lois représente également un des éléments du défaut d’accessibilité de la loi.
Proposition pour une plus
large diffusion des exemplaires de « le Moniteur »
La
mise en indisponibilité du site du Secrétariat général du Conseil des ministres
pour cause de non-renouvellement du plan d’abonnement de l’hébergement et
l’absence de diligence à remettre en état de fonctionnement ce site témoignent
de l’insouciance des politiques à mettre l’information juridique disponible aux
citoyens. En effet, ce site constituait un des rares fonds documentaires ou
l’on pouvait retrouver un ensemble de lois et de projets de lois.
Cette
carence d’accès aux nouvelles lois adoptées influence inclusivement tous les
acteurs qui appliquent les lois. Il est courant que des juges rendent des
décisions sur la base de lois qui ne sont plus en vigueur.
Pourtant favoriser l’accès à la loi devrait être un processus simple lorsqu’on considère les opportunités offertes par les technologies de l’information et de la communication. Pour remédier à l’inaccès des nouvelles lois promulguées, je propose que :
1) L’Etat
haïtien met opérationnel le site de la presse nationale sur lequel toutes les
nouvelles lois peuvent être consultables et téléchargeables.
2) La
presse nationale passe un accord avec les facultés de droit et les barreaux
afin de favoriser l’appropriation des « Le Moniteur ». Et de permettre le poly copiage par les
Juristes et étudiants. Tout en mettant des imprimées disponibles à la
consultation dans les espaces bibliothèques de ces entités.
3) La
Bibliothèque nationale d’Haïti diligente des actions pour mettre disponible dans
les bibliothèques municipales toutes les nouvelles lois aussi bien les versions
reliées.
4) La
presse nationale d’Haïti crée une lettre d’abonnement électronique ou physique
(gratuit ou payant) à la disposition des citoyens.
Réduire les obstacles
linguistiques d’accès aux lois
L'article 5 de la Constitution de 1987 amendée
en 2011 se lit comme suit (en français) : « Tous les Haïtiens sont
unis par une langue commune : le créole. De ce fait,
en principe les versions originales des lois devraient toujours s’écrire en
créole.
Faute
est de constater que les gouvernements et parlements successifs en Haïti ont
toujours privilégiés la rédaction des lois en langue française. En faisant fi
du fait que cette pratique exclut des millions de citoyens des débats publics
sur le droit voire même de la connaissance de leurs droits.
Les
prochaines législatures auront à poser un acte de patriotique en privilégiant
la rédaction en créole haïtien des propositions et des nouvelles lois.
Promouvoir le « Plain legal language »
«
Nemo censetur ignorare lege » [1]dit
l’adage latin. Cet adage signifie que personne ne devrait en principe ignorer
la loi. Et ne peut évoquer l’ignorance de la loi devant un tribunal.
En
dehors de l’inaccessibilité matérielle des lois, la plupart d’entre nous ont
déjà fait l’expérience de se buter à la compréhension des textes de lois. Ce phénomène n’est pas exclusif à Haïti.
Vers les années 1960 , un mouvement social en faveur du « droit de comprendre » a débuté autour du plain language.
. « Les défenseurs du plain language prônent un style de communication efficace où l’auteur vise à se faire comprendre de son lecteur cible. S’appuyant sur des tests et des indices de lisibilité, ils invoquent des études et expériences de linguistes, comme Rudolph Flesch et Robert Gunning. Pour la langue française, citons la contribution de François Richaudeau.[2]»
À
la suite de ce mouvement, dans les 1970, le plain
legal language est devenu une norme législative aux Etats-Unis et
professionnelles notamment en Belgique.[3]
Le
législateur et les professionnels du droit haïtiens ont tout intérêt à rendre
accessible le contenu des textes et documents juridiques en adoptant des
pratiques du « plain language ».
Cela permettra de réduire l’asymétrie de l’information et d’élever le niveau de
la qualité des débats publics autour du droit. Et surtout d’éradiquer sur le
long terme les pratiques d’exploitation de l’ignorance des justiciables par des
« professionnels du droit »
La
problématique de l’accès des lois est d’importance capitale. Elle a des incidences
multiples sur le processus démocratique, le niveau des débats autour du droit
aussi bien sur l’efficacité du système judiciaire. Le gouvernement, les législateurs et les professionnels
du droit ont tout à gagner en favorisant l’accessibilité matérielles et
linguistiques des règlements juridiques en Haïti.
[1] Nul n’est censé ignorer la loi, traduction libre
[2] FERNBACH Nicole-Marie, Langue
juridique et lisibilité in Circuit Magazine à l’adresse https://bit.ly/3bahtBn consulté le 6 mai 2021
[3] Ibid